Pendant plus de quinze ans, un pseudo-géologue (chef d'entreprise de son état) aura accompli l'exploit de faire applaudir, dans des congrès nationaux et internationaux, des élucubrations "géologiques" visant à démontrer que tous les géologues, paléontologues et sédimentologues "d'antan" n'étaient que des ânes et que la théorie de l'évolution, née de leurs cerveaux égarés, allait incessamment s'écrouler devant ses découvertes révolutionnaires. Certes l'absurdité du propos n'échappait pas aux spécialistes. Néanmoins (au dire des témoins), l'auditoire applaudissait courtoisement les expérimentations frelatées et les cassettes vidéo du prétendu sédimentologue Guy Berthault. Dans la presse scientifique, le nom de Guy Berthault apparaissait régulièrement, escorté de deux termes dont le seul accouplement fleurait déjà la menace : créationnisme scientifique.
Rumeurs et manipulations

Enfin la rumeur devint certitude, car M. Berthault, lui-même, ne cessa plus jamais de placer toutes ses prestations (écrites ou orales) sous le haut patronage de l'Académie des sciences (et plus précisément de M. Georges Millot(2), par la seule magie de cette formule rituelle : "Mes expérimentations ont fait l'objet de deux notes aux Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, l'une du 3 décembre 1986, l'autre du 16 février 1988." Cette petite phrase, d'allure ingénue, chef-d'oeuvre du "mentir vrai" (puisque les faits, en eux-mêmes sont exacts et soigneusement datés !) devint l'instrument de frauduleuses manipulations, la clef de voûte d'une longue imposture. En effet, l'une des "ficelles" de Guy Berthault consistait (par divers artifices), à déplacer tous azimuts et élargir aux dimensions de l'univers, le domaine de validité de la caution académique qui ne lui avait été concédée que pour un tout petit lopin exigu, celui de quelques expériences sans envergure (on en jugera) relatées dans les deux notes aux Comptes Rendus de l'Académie des Sciences. L'opération était facile (il suffisait d'oser) et le risque négligeable : qui s'aviserait jamais d'aller lire les deux notes de Guy Berthault et de déceler l'inadéquation entre leur portée réelle (formation de minuscules "lamines" millimétriques dans des récipients de laboratoire) et celle qu'on prétendait leur donner, à une tout autre échelle, celle de la Création du monde ? Survenant au moment opportun, en termes immuables mais au sein de contextes divers, les deux mots "Mes expérimentations..." font en effet spontanément référence aux données précédemment énoncées, celles qu'il s'agit de cautionner par l'invocation d'une autorité supérieure. Car il ne s'agit pas de démontrer mais de faire croire, non de faire appel au raisonnement mais de circonvenir la raison.
C'est ainsi que la petite phrase anodine, par divers tours de passe-passe, devint subrepticement, pour Berthault, une estampille universelle d'authenticité "pour l'ensemble de son oeuvre", un véritable talisman, sa "caution magique", son "Sésame ouvre-toi !" qui lui ouvrit effectivement les portes de la Société géologique de France, en 1988, puis de l'Association des sédimentologistes français, etc.
Ainsi, par sa vertu miraculeuse, cette phrase innocente transfigurait, en un clin d'oeil, les plus douteux bricolages stratigraphiques en "découvertes révolutionnaires et incontestées" (Expériences, n° 102, 1996, p.20) (3), soi-disant garanties par le label de l'Académie et autres instances de "la profession" dont le silence était, pour Berthault, synonyme d'approbation :
"Je suis arrivé aujourd'hui au point où je puis affirmer avoir fait une découverte importante que nul ne conteste [sic]. Elle a été publiée et reconnue par des spécialistes de la profession qui a accepté de la publier. Nous avons mis en défaut les deux principes de la géologie historique et rédigé un rapport qui a été présenté à la Société géologique de France. Trois censeurs ont donné leur accord à sa publication au Bulletin n° 5 de décembre 1993. Cela signifiait que la profession n'avait rien à opposer aux conclusions de nos travaux (ibid., p.12) (4). "
Fort de tant de "cautions" prestigieuses (réelles ou supposées), notre "géologue" amateur - en bon professionnel de la "grande distribution" (5) - diffusa "dans le monde entier" (6), à l'en croire, ses vaticinations géologiques, annonçant à l'univers la nouvelle stratigraphie "restructurée" par ses soins, et qui devait balayer l'évolutionnisme, reléguer Darwin aux oubliettes et, subséquemment, restaurer le divin Créateur. Tel était, en effet, le dessein "scientifique" qui devait s'accomplir sous la bannière académique et sous le prétendu haut patronage de M.Georges Millot (obligeamment disparu en 1991).
Flagrant délit et aveux spontanés
En 1996 la revue Expériences consacrait un numéro presque entier à l'éminent "sédimentologue" M. Berthault, qui avait accordé un entretien aux "pasteurs-journalistes" et évangélistes de la rédaction (visiblement acquise aux thèses créationnistes). Aux titres racoleurs succédait un préambule qui alliait, avec une rare audace, la désinformation flagrante, les
contre-vérités patentes et la manipulation verbale. On en jugera sur quelques échantillons :
"- Ecroulement de la théorie de l'évolution...
- Une découverte révolutionnaire et incontestée.
- Les expériences les plus récentes accréditent la Bible.
- Les travaux de M. Guy Berthault démontrent que la base sur laquelle repose tout l'édifice de l'évolutionnisme est une erreur scientifique. Privée de cette base erronée, la théorie de Darwin s'écroule tel un château de cartes.
Les découvertes présentées dans ce document portent un coup fatal à la théorie de l'évolution" (Expériences, p.10 et 12).
Suivait une kyrielle de cautions prestigieuses :
"Les découvertes de M. Guy Berthault ont fait l'objet de trois publications dans les Comptes Rendus de l'Académie des Sciences et le Bulletin de la Société Géologique de France. Elles ont été officiellement reconnues par des spécialistes de la communauté scientifique tel Monsieur Georges Millot, Doyen de la Faculté de Strasbourg, membre de l'Institut et Président de la Société Géologique de France. [.] Désormais connus et reconnus, les travaux de M. Berthault posent le fondement d'une nouvelle géologie historique" (ibid.).
Grâce à cette précieuse revue, il est possible de couper court, une fois pour toutes, aux continuelles dénégations de M. Berthault sur son appartenance au créationnisme. En effet, comme tous les créationnistes "scientifiques", M. Berthault s'avance ordinairement masqué : personne, en France, ne se réclame jamais ouvertement d'un courant si calamiteux qu'il n'a jamais produit, de l'avis des spécialistes, la moindre théorie scientifiquement recevable (7). Mais dans l'entretien avec les pasteurs évangélistes, M. Berthault s'exprimait en confiance, presque en confidence, exposant sans feinte les convictions religieuses qui inspirent sa géologie et la mission qu'il s'est assignée de réconcilier la science et la Bible, "avec l'aide du Saint-Esprit" :
"Lorsque j'ai reçu, au catéchisme, l'enseignement de l'Église sur la Création, c'est-à-dire la création du monde, de l'homme à l'image de Dieu, des animaux, chacun selon son espèce, le péché originel, la chute et la rédemption, etc., et j'y ai cru dur comme fer. Plus tard, je me suis trouvé confronté à l'enseignement sur les ères primaire, secondaire, tertiaire, quaternaire et même à l'évolution des espèces et au transformisme. Cela a été pour moi un désenchantement, créant un sentiment de contradiction qui ne m'a jamais plus quitté. Mais la vie passe. J'ai suivi des études à Polytechnique, puis j'ai effectué une carrière professionnelle dans la grande distribution, mon père ayant fondé les chaînes de magasins Euromarché et Viniprix. Mais la tâche essentielle de ma vie a été d'étudier les conflits apparents entre la foi et la Science, particulièrement dans le domaine de la géologie historique. Une tâche que je poursuivrai jusqu'à ma mort." (Expériences, p. 8)
Par "conflits apparents" entre la science et la foi, il faut évidemment entendre "erreurs de la science" puisque la Bible est infaillible. Résoudre ces "conflits apparents" signifie donc, purement et simplement, discréditer (chose facile) et "restructurer" (c'est plus difficile!) toute théorie scientifique non conciliable avec la Bible :
"Il n'y a pas deux vérités, assure M. Berthault, si Dieu a parlé, sa parole ne peut pas être en contradiction avec la réalité."(ibid., p. 15)
Nous sommes en plein créationnisme : les deux grands livres (la Bible et la nature) étant du même auteur, le message est forcément unique et cette unique vérité c'est celle de la Bible, prise au pied de la lettre. C'est donc à la science de s'arranger pour corroborer la Bible. C'est en cela que consiste ce que les créationnistes appellent "recherche scientifique". Mais tenant à passer pour un "scientifique", M. Berthault tente de nous rassurer :
"Je ne fais pas une oeuvre fondamentalement [sic] religieuse, bien qu'elle ait été et demeure inspirée par ma préoccupation spirituelle, avec l'aide du Saint-Esprit, j'en suis convaincu. Mais je ne présente pas mon travail comme tel. [Notons l'aveu de dissimulation!] Mon juge est Dieu, le reste est du vent !" (ibid., p. 19).
On n'est donc pas surpris de ce qui suit :
"Je suis en très bons termes avec les créationnistes de l'ICR(8) aux Etats-Unis, qui sont baptistes pour la plupart, et avec lesquels je collabore car nous avons un tronc commun de foi qui nous rassemble sur l'essentiel."
On sait que l'un des objectifs majeurs de l'ICR est de rendre un minimum de vraisemblance au Déluge, indispensable à la théorie de la jeunesse de la Terre. Or ce dessein est précisément celui qui inspire M. Berthault, mais la tâche est ardue. Aussi, interrogé par les pasteurs sur la possibilité, par "ses travaux", de prouver l'historicité du Déluge, le "sédimentologue" ne peut-il répondre qu'en termes de convictions et croyances personnelles :
"Je suis personnellement convaincu de son existence mais, sur le plan strictement scientifique, je ne puis encore démontrer catégoriquement qu'il a eu lieu. Je fais confiance à la vérité. Et il n'y a pas deux vérités. Si Dieu existe et s'il a parlé, sa parole ne peut pas être en contradiction avec la réalité. Or je suis très fortement convaincu que le simple [?] examen du monde actuel est presque [?] une preuve en soi [?] du Déluge." (Expériences, p. 15)
Discours éminemment scientifique qui peut se résumer ainsi: " Je suis personnellement convaincu de l'existence du Déluge car j'en suis très fortement convaincu." Motivations, méthodes, finalités, anti-évolutionnisme, détournement de la science au service de la foi, etc., tout l'arsenal du créationnisme "scientifique" se retrouve dans les propos de M. Berthault qui nous ouvre, involontairement, les coulisses de sa "géologie nouvelle". Nous savons désormais, de source directe, dans quelle problématique (ordinairement clandestine) se situent les notes aux CRAS. Et ce constat nous serait confirmé, si besoin en était, par la conclusion inopinée d'un document qui, après s'être échiné, tout au long, à singer la démonstration scientifique, s'achève par un émouvant credo :
"En tant que chrétien, j'ai la conviction intime que la restructuration de la stratigraphie éliminera toute contradiction avec la Genèse biblique, telle qu'elle est lue, concernant l'évolution des espèces induisant l'évolutionnisme matérialiste, la durée des temps géologiques et rendra toute sa vraisemblance au Déluge si vivant [sic] dans les traditions légendaires et écrites de tous les peuples et à la création." (9)
Cette conclusion exaltée condense, à elle seule, les principes fondamentaux de l'auteur: c'est "en tant que chrétien" et au nom de sa foi, que parle le "géologue" et l'objet de son étude c'est de disqualifier la géologie historique et, du même coup, balayer "l'évolutionnisme matérialiste" pour rendre au moins quelque ombre de vraisemblance au Déluge et à la Création (divine). Est-ce là ce que l'Académie des sciences était supposée cautionner ?
La "géologie" selon la Genèse
Elle n'est exposée nulle part de façon cohérente. Sur la Restructuration stratigraphique (cf. note 9), document très confus et qualifié "d'insensé" par M. Millot (10), on se reportera à l'article de Jean Pierre Garcia (de l'ouvrage). Nous n'évoquerons ici que les données indispensables pour lire d'un oeil averti les notes aux CRAS, dont les objectifs véritables sont si bien cachés qu'ils ont échappé même aux savants académiciens qui ont permis leur publication. Les impératifs de base de la géologie créationniste ont les suivants :
- Rajeunir la Terre de quelques 4,5 milliards d'années. Pour cela, il faut démentir, à tout prix, le principe de superposition (11) (qui fonde la stratigraphie) ainsi que la définition des "strates" que l'on considère communément comme des couches successives de dépôts, au long des temps et sur lesquelles se fonde le calcul de l'âge de la Terre (chaque couche représentant des millions d'années).
- Rendre vraisemblable l'historicité du Déluge (tel que dans le récit biblique). Pour les créationnistes, cette catastrophe universelle (300 jours environ, toutes phases comprises) aurait pu générer, par des processus accélérés, des formations exceptionnellement rapides, lestes et vigoureuses, propres à expliquer l'apparition quasi instantanée de ce que les géologues (ignares) prennent à tort pour d'antiques "strates" issues de lentes sédimentations, là où M. Berthault a su identifier de jeunes et fraîches "lamines". Et c'est ici qu'apparaît le cheval de bataille de M. Berthault :
- Substituer la "lamination" (12) aux couches (ou strates) de la géologie historique.
C'est dans le cadre de ce dessein grandiose que s'inscrivaient, secrètement, les notes aux CRAS, et si M. Berthault manifeste à l'égard des "lamines" un attachement si immodéré, c'est que, selon lui, elles répondent admirablement aux principales exigences de la géologie selon la Bible : rapidité de formation (par granoclassement - cf. note 12), apparence stratifiée mais ne donnant aucune indication chronologique, ce qui ipso facto disqualifie le principe de superposition, la géologie historique, la datation des strates, des fossiles, etc.
Tout datant désormais du Déluge, la paléontologie et autres fariboles évolutionnistes sont donc révoquées au nom de l'autorité de la Bible. On comprend dès lors l'obstination acharnée avec laquelle M. Berthault, pendant plus de quinze ans (13), sollicita M. Millot pour obtenir la publication d'une note aux CRAS : il s'agissait en somme de faire "breveter" les lamines par l'Académie des sciences, de les doter ainsi d'une estampille officielle dont il ferait abusivement bénéficier généreusement ses théories les plus irrecevables.
L'un des problèmes qu'entendaient résoudre les notes résidait dans le fait que les lamines sont un phénomène assez rare, limité à certaines roches et de dimensions très réduites (de l'ordre du cm ou du mm d'épaisseur). De plus, leur formation par granoclassement exige la présence d'un courant pour opérer la ségrégation des éléments selon leurs calibres. Il va sans dire que, pour rendre compte de toutes les formations d'apparence stratifiées observables sur la Terre, il faudrait considérablement élargir le champ d'apparition des lamines, l'étendre quasiment à toutes les roches, en toutes conditions, avec ou sans courant, en eau calme aussi bien qu'agitée, etc. Telles furent les finalités (clandestines) des expérimentations relatées par M. Berthault, dans ses deux notes aux CRAS : sous un discours apparemment technique se dissimule le dessein religieux confié aux pasteurs bretons de la revue Expériences.
Pour aller plus loin :
- Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences. Collectif.
- Petit traité de l'imposture scientifique. Aleksandra Kroh.
- L'imposture scientifique en 10 leçons. Michel de Pracontal.